XIV
UNE AFFAIRE D’HONNEUR

— Eh bien, vous n’avez pas trop souffert ?

Sir Piers Blachford retroussa ses manches avant de se laver les mains dans une cuvette d’eau chaude que venait de lui apporter son domestique. Ils se trouvaient dans une pièce spacieuse et joliment meublée. Sir Piers esquissa un sourire :

— Pour un vieux marin comme vous, ce n’est rien, n’est-ce pas ?

Bolitho se laissa aller dans son fauteuil à haut dossier et essaya de détendre chacun de ses muscles. Dehors, le ciel se teintait déjà aux couleurs du couchant, alors qu’il était trois heures. Une pluie intermittente cinglait les vitres, on entendait les chevaux et les roues des charrettes qui passaient dans les flaques.

Il effleura son œil, rouge et enflammé après le traitement sévère que venait de lui faire subir Blachford. Le chirurgien y avait injecté un liquide qui le piquait de manière insupportable et Bolitho avait envie de se frotter jusqu’au sang.

Blachford lui lança un regard plein de reproches.

— N’y touchez surtout pas ! Pas pour le moment – il s’essuya les mains et congédia son domestique d’un signe de tête : Un peu de café, peut-être ?

Bolitho refusa. Catherine était quelque part au rez-de-chaussée de cette grande demeure silencieuse, à attendre les nouvelles en se rongeant les sangs.

— Il faut que j’y aille, mais auparavant, pourriez-vous me dire…

Blachford le regardait, l’air narquois et affectueux à la fois.

— Vous êtes décidément d’une impatience… Souvenez-vous de ce que je vous ai dit à bord de l’Hypérion. Comment voulez-vous que l’état de votre œil s’améliore ?

Bolitho soutint son regard. Se souvenir ? Comment aurait-il pu oublier ? Cet homme de haute taille maigre comme un clou, avec ses cheveux poivre et sel et le plus long nez qu’il eût jamais vu. A son bord, il était resté jusqu’au dernier moment, jusqu’à ce qu’il eût donné l’ordre d’abandonner le bâtiment.

Sir Piers Blachford était un membre éminent et très respecté de l’Académie de médecine. En dépit des dures conditions de vie à bord, lui-même et quelques-uns de ses confrères s’étaient proposés pour aller inspecter les escadres afin de trouver le moyen de soulager les souffrances des marins blessés, au combat ou dans la routine de leur dure existence. Au début, les gens de l’Hypérion le considéraient comme un intrus. Mais il avait réussi à s’attirer l’affection de tous.

C’était un homme d’une énergie sans bornes. Alors qu’il avait bien vingt ans de plus que Bolitho, il avait tout visité à bord, du gaillard d’avant aux derniers fonds de cale et avait interrogé tout l’équipage ou presque. Et lors de leur dernier combat, il avait sauvé bien des vies. Alors, comme maintenant, sa silhouette évoquait pour Bolitho celle d’un héron comme on en voyait dans les hautes herbes, à Falmouth. Le héron qui guette patiemment sa proie.

— A cette époque, c’était impossible, répondit-il froidement.

Il repensait brusquement aux deux jours qui venaient de s’écouler, juste après son retour. Il avait confié le Truculent, gravement avarié, aux soins de l’arsenal. Sir Charles Inskip était rentré à Londres sans desserrer les dents ou presque. Était-il encore sous le coup de ces tragiques événements, ou gardait-il rancune à Bolitho après les dures paroles qu’il avait eues à son égard, avant la bataille ? Il l’ignorait et, d’ailleurs, ne s’en souciait guère.

Il avait serré Catherine dans ses bras pendant un temps infini, le temps de retrouver son calme, de reprendre un rythme normal. Elle était agenouillée à ses pieds, les flammes de la cheminée faisaient briller ses yeux. Elle l’avait écouté lui raconter ce bref mais terrible combat, l’arrivée de L’Anémone alors qu’il se désespérait.

Le désarroi puis la mort de Poland, la mort de tous ceux qui étaient tombés, victimes de la folie et de la trahison de certains.

Elle avait fait une seule fois allusion à Varian et à sa Fringante. Elle lui avait serré les mains plus fort en l’entendant répondre d’une voix très calme : je voudrais qu’il fût mort.

Elle avait réussi à lui arracher le récit de sa blessure, la chute de cette poulie.

Et maintenant, dans cette pièce paisible, bien à l’abri dans Albermale Street, il se sentait encore ému de sa compassion, de l’inquiétude qu’elle manifestait. Pendant qu’il avait été retenu à l’Amirauté pour aller présenter son rapport à l’amiral Lord Godschale, elle était allée plaider sa cause auprès de Blachford, le suppliant de bien vouloir examiner Bolitho, en dépit d’un emploi du temps surchargé.

Blachford s’était fait assister par un autre médecin, un homme de petite taille au regard perçant du nom de Rudolf Braks. Ce praticien n’avait pour ainsi dire pas soufflé mot, mais avait assisté à toute la séance d’examen, faisant montre d’une attention impressionnante. Lorsque l’homme de l’art avait fini par s’adresser à Blachford, Bolitho avait découvert qu’il avait une grosse voix gutturale. Il était sans doute allemand, ou peut-être réfugié des Pays-Bas.

Une chose était évidente : tous deux étaient très au fait de la blessure à l’œil reçue par Nelson. Bolitho songea que cela aussi devait figurer dans le volumineux compte rendu qu’ils avaient remis à l’Académie de médecine.

Blachford s’assit en étendant ses longues jambes maigres.

— Je vais discuter de votre cas avec mon éminent collègue, c’est davantage son domaine que le mien. Mais je devrai procéder à quelques examens complémentaires. Vous restez quelque temps à Londres ?

Bolitho songeait à Falmouth, à l’hiver qui approchait, au froid qui allait arriver de la mer, des eaux grises sous la pointe. Il avait désespérément besoin d’être là-bas. Il avait manqué périr, il s’était fait à cette idée. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il avait réussi à entraîner derrière lui l’équipage du Truculent, à un moment où ils étaient acculés, à bout de ressources.

— Je comptais rentrer chez moi, sir Piers.

Blachford eut un bref sourire.

— Eh bien, disons seulement quelques jours. J’ai cru comprendre que vous deviez mettre votre marque à bord d’un nouveau vaisseau ?

Il n’ajouta rien qui pût trahir son intérêt, les voies par lesquelles il en avait eu connaissance. Ce n’était d’ailleurs pas son genre.

Bolitho songeait à l’amiral Godschale, à sa colère quand il avait appris ce qu’il s’était passé. On ne peut pas être partout à la fois.

L’amiral avait sans doute déjà choisi un autre officier général pour le remplacer, au cas que le plan des Français eût réussi, s’ils avaient capturé le Truculent ou si Bolitho était tombé.

— Va pour quelques jours, répondit enfin Bolitho. Merci de votre aide et tout spécialement, de votre gentillesse à l’égard de Lady Catherine.

Blachford se leva et reprit sa posture de héron.

— Même si j’avais été de pierre – et d’aucuns affirment que c’est le cas –, j’aurais fait mon possible. Je n’avais encore jamais rencontré une personne pareille. J’avais imaginé que les jaloux en rajouteraient, mais à présent, je sais qu’il n’en est rien ! – puis, lui tendant sa main osseuse : Je vous ferai porter un billet.

Bolitho prit congé et se hâta de descendre l’escalier à vis décoré de dorures. Une grande et belle demeure, avec pourtant quelque chose de Spartiate. Comme son propriétaire.

Elle se leva lorsqu’un domestique ouvrit les deux battants devant lui. Son regard était plein de questions. Il l’attira à lui et déposa un baiser sur les cheveux.

— Il ne m’a rien annoncé de grave, Kate chérie.

Elle s’éloigna un peu pour mieux le regarder.

— J’ai manqué te perdre. Je le sais à présent, je le lis dans tes yeux.

Bolitho détourna le regard.

— Nous voici réunis. La pluie a cessé, nous pourrions renvoyer le Jeune Mathieu et rentrer à pied ? Ce n’est pas très loin, j’ai envie de marcher avec toi. Certes, ce ne sont ni les sentiers ni les falaises de Cornouailles, mais quand tu es là, c’est toujours un miracle.

Un peu plus tard, alors qu’ils marchaient paisiblement sur le trottoir mouillé le long duquel circulaient des voitures et des charrettes, elle lui parla d’un compte rendu qu’elle avait lu dans la Gazette.

— Ils ne disaient pas un mot ni de toi ni de Sir Charles Inskip.

On la sentait irritée.

Il étendit son manteau pour la protéger au passage d’un détachement de soldats dont les bottes projetaient de la boue lorsqu’ils passaient dans les flaques. Il lui sourit.

— Tu es toujours ma tigresse – puis, hochant la tête : Non, on a seulement essayé de faire croire que nous n’étions pas à bord. Le secret est éventé, mais cela contribuera à semer le trouble. L’ennemi ne pourra pas en tirer argument auprès des Danois ni utiliser ce prétexte pour appuyer ses menaces.

— On lit dans cet article, reprit-elle doucement, que Poland s’est battu sans espoir jusqu’à l’arrivée de ton neveu. Elle s’arrêta pour le regarder en face, le menton fièrement levé : Mais c’était toi, n’est-ce pas, Richard ? C’est bien toi qui les as vaincus, pas le commandant ?

Bolitho haussa les épaules.

— Poland était un brave. Il le portait sur lui. Je crois qu’il savait qu’il allait mourir… et il m’en voulait sans doute.

Ils atteignirent leur demeure au moment où la pluie reprenait.

— Je vois là deux voitures, fit Bolitho. J’espérais que nous serions seuls.

Ils n’avaient pas franchi la première marche que la porte s’ouvrait. Bolitho se trouva nez à nez avec la gouvernante rouge comme une pivoine, Mrs. Robbins, qui les regardait depuis le seuil. Elle était partie un certain temps dans la grande propriété que possédait Browne dans le Sussex, mais elle avait été là, avant, lorsque Bolitho était allé tirer Catherine de sa prison. C’était une vraie Londonienne, née et élevée à Londres, et elle avait des idées très arrêtées sur la distance qu’ils devaient conserver lorsqu’ils se trouvaient chez Lord Browne.

Catherine releva sa capuche.

— Cela fait plaisir de vous voir, madame Robbins !

Mais la gouvernante n’avait d’yeux que pour Bolitho.

— Je ne savais pas que vous seriez là, amiral. Votre Allday était sorti et vot’aide de camp est rentré chez lui à Southampton, de toute manière…

Bolitho ne l’avait jamais vue dans un état pareil. Il lui prit le bras.

— Racontez-moi. Que s’est-il passé ?

Elle s’essuya la figure avec un bout de son tablier.

— C’est Sa Seigneurie. Il a demandé à vous parler – elle leva les yeux dans l’escalier comme pour le voir : Le docteur est avec lui là-haut, faites vite, je vous en prie.

Catherine était déjà sur la première marche, mais Bolitho vit que la gouvernante lui faisait un signe désespéré.

— Non, Kate, il vaut mieux que vous restiez vous occuper de Mrs. Robbins. Faites-lui chercher quelque chose de chaud – il échangea avec elle un regard entendu : Je redescends tout de suite.

Il trouva devant la porte à deux battants de Browne un vieux domestique assis sur une chaise. Il avait l’air trop bouleversé pour bouger et Bolitho songea immédiatement à Allday.

La chambre était plongée dans l’obscurité, sauf autour du lit au chevet duquel étaient assis trois hommes. L’un d’eux, le médecin apparemment, tenait la main de Browne, peut-être pour prendre son pouls.

En voyant Bolitho, l’un des trois s’exclama :

— Oliver, il est là ! – et se tournant vers lui : Dieu soit loué, sir Richard !

Ils lui firent une place et il s’assit sur le bord du lit, les yeux fixés sur cet homme qui avait été son aide de camp avant de succéder à son père dans ses titres et prérogatives.

Browne était en chemise de nuit, couvert de sueur. Il se tourna vers Bolitho, on voyait qu’il devait faire un effort. Il réussit à articuler :

— On m’a dit… on m’a dit que vous étiez vivant ! Voilà un bout de temps que… Je pensais…

— Mais oui, Oliver, ça va aller – puis se tournant vers le médecin : Qu’a-t-il ?

Sans répondre, le médecin souleva son vêtement et découvrit le pansement sur la poitrine du blessé. Il avait fallu découper sa chemise, il y avait du sang partout.

— Qui lui a fait ça ? demanda lentement Bolitho.

Il avait vu suffisamment de blessures causées par l’épée ou le pistolet pour comprendre de quoi il s’agissait.

— Pas le temps, je n’ai pas le temps, laissa échapper Browne dans un murmure. Ses yeux se révulsaient : Plus près, plus près !

Bolitho se pencha sur lui. Ce jeune officier qui avait tant de fois arpenté le pont avec lui, tout comme Jenour à présent, au plus fort de la bataille. Un homme plein de qualités et de vertus, en train de mourir sous ses yeux, dans un dernier combat sans espoir.

— Somervell, fit Browne. En duel.

On voyait que chaque mot lui demandait un effort énorme. Il continua :

— Votre femme… votre femme est veuve désormais.

Il serra les dents si fort qu’un peu de sang perla à ses lèvres.

— Mais il m’aura tué tout aussi bien !

Bolitho se tourna vers le médecin, désespéré :

— Vous ne pouvez vraiment rien faire ?

L’homme de l’art hocha négativement la tête.

— Non, sir Richard, c’est déjà un miracle qu’il soit encore vivant.

Browne agrippa la manche de Bolitho et murmura :

— Ce salopard a tué mon frère, comme ça. J’ai rétabli le score. Vous expliquerez à…

Sa tête roula sur l’oreiller et il resta immobile.

Bolitho se pencha pour lui fermer les yeux.

— Je vais prévenir Catherine. Reposez en paix, Oliver.

Il détourna le regard, ses yeux jetaient des éclairs. Browne avec un e. Il se leva, se dirigea vers la porte et demanda encore :

— Dites-moi quand…

Mais nul ne lui répondit.

Catherine l’attendait dans la pièce où il lui avait fait le récit de son dernier combat. Elle lui tendit un verre de cognac.

— Je sais tout, Allday m’a raconté, il l’a appris aux cuisines. Mon mari est mort.

Elle prit son verre, le pressa très fort contre ses lèvres.

— Cela ne me fait rien, à vrai dire… sauf pour toi, pour ton ami.

Bolitho avala le cognac qui lui brûla la gorge. Il essayait de rassembler ses souvenirs, de revoir les images du passé. Elle lui remplit son verre de nouveau et il s’entendit qui disait :

— Oliver avait coutume de dire : Nous, les Heureux Elus. Eh bien les élus sont de moins en moins nombreux et il l’a payé au prix fort.

Allday était attablé dans la cuisine devant une terrine de mouton qu’il avait solidement entamée. Il s’arrêta de mastiquer pour bourrer sa pipe.

— Une aut’chope de bière s’rait point de refus, madame Robbins – puis, secouant la tête, ce qui lui fit découvrir qu’il avait mal au crâne : Correction, je vais r’prendre un p’tit verre de rhum.

La gouvernante l’observait, l’air triste. Elle était certes peinée de ce qu’il était arrivé, elle s’inquiétait également pour son avenir. Le jeune Oliver, comme on l’appelait aux cuisines, était le dernier de sa lignée. On parlait bien d’un lointain cousin, mais allez savoir ce qu’elle allait devenir ?

— Je suis étonnée de voir que tout ça ne vous coupe pas l’appétit, John !

Allday avait les yeux rouges, il essaya de la regarder, mais n’y voyait plus très clair.

— Eh ben, j’vas vous l’dire, madame Robbins. C’est parce que je suis toujours vivant – il lui montra le plafond en levant le pouce : Nous sommes toujours vivants ! J’verserai un’pt’it’larme au prochain qui partira, vous d’mand’bien pardon, mais c’qui compte, c’est qu’nous on soye vivant, voyez ?

Elle fit glisser la cruche près de son assiette.

— Faites attention à ce que vous dites quand on viendra pour emporter sa seigneurie. Homme de qualité ou pas, c’qu’ils ont fait est défendu !

Elle récupéra sa cruche en voyant qu’Allday s’affaissait sur la table. Dans cette élégante demeure, la guerre était restée quelque chose de lointain. Ils n’avaient jamais souffert de la moindre restriction et il avait fallu que le jeune Oliver prît la mer pour que les domestiques prissent conscience de son existence. Mais, avec cette poussée de désespoir qui prenait Allday, la guerre s’invitait chez eux.

Elle entendit un bruit de porte que l’on refermait et en conclut qu’ils remontaient, peut-être pour aller veiller le mort. Un sourire de tendresse éclaira son visage rougeaud. Le jeune Oliver serait bien là-haut, en compagnie de l’homme qu’il avait aimé plus que son propre père.

 

Le médecin qui avait assisté les deux protagonistes n’arrêtait pas de consulter sa montre et ne faisait pas mystère de sa hâte à quitter les lieux.

Assise près de la cheminée où quelques tisons rougeoyaient, Catherine jouait négligemment avec son collier. Ses hautes pommettes ajoutaient encore à sa beauté.

— Oliver a laissé une lettre, lui dit Bolitho. Comment pouvait-il être aussi sûr qu’il allait mourir ?

Le docteur lança un regard acide à Catherine et murmura :

— Le vicomte Somervell était un duelliste réputé, si j’ai bien compris. L’issue était donc assez certaine.

Bolitho entendit des gens qui parlaient à voix basse dans l’escalier, des bruits de portes que l’on ouvrait et que l’on refermait. On préparait le dernier voyage d’Oliver dans son Sussex natal.

— Cette attente, fit Catherine, excédée, mais cela ne finira donc jamais ?

Elle se pencha pour prendre la main qu’il lui tendait et la posa sur sa joue, comme s’ils étaient seuls dans la chambre.

— Ne t’en fais pas, Richard, je ne te décevrai pas.

Bolitho la contemplait, songeant à cette force qui l’habitait. Avec l’aide du docteur, ils avaient identifié les seconds de Somervell et l’endroit où l’on avait déposé son corps. On l’avait porté à son hôtel de Grosvenor Square. Était-ce à lui qu’elle songeait ? Se disait-elle qu’elle allait devoir s’y rendre pour arranger les funérailles de son époux ? Il serra plus fort sa main. Il irait avec elle, le scandale était déjà si énorme que cela ne changerait pas grand-chose.

Lorsque la chose se saurait, beaucoup penseraient qu’il avait tué Somervell. Il détourna les yeux, amer. Et j’aurais bien aimé que ce fût le cas.

On avait fait prévenir chez Browne, dans sa propriété de Horsham. Ses gens devaient venir le chercher. Aujourd’hui même.

— Je crois que le frère aîné de Browne est mort dans les mêmes circonstances, fit-il enfin. Cela se passait à la Jamaïque, Somervell là encore.

Qui aurait deviné qu’un homme aussi pusillanime que Browne serait allé provoquer Somervell pour régler de vieux comptes, de la seule manière qu’il connût ?

Un domestique, les yeux rougis, ouvrit la porte.

— Vous d’mand’pardon, la voiture est là.

Il entendit des bruits de pas, des gens qui parlaient. Un homme solidement bâti, vêtu d’habits sombres comme on en porte à la campagne, entra dans la pièce. Il se présenta comme étant Hector Croker, l’intendant du domaine. Cela faisait trois jours qu’on lui avait fait porter un message par relais de poste. Croker avait voyagé sans désemparer dans les chemins noyés de pluie et dans la nuit noire.

Le docteur lui remit quelques documents. Il était visiblement soulagé, comme s’il se déchargeait du diable ou de quelque chose de dangereux.

Voyant que Mrs. Robbins attendait près de ses bagages, il lui dit doucement :

— Vous voyagerez avec nous. Sa Seigneurie a laissé des ordres, vous resterez au service de la maison.

Catherine s’avança et serra la gouvernante dans ses bras.

— Pour la gentillesse avec laquelle vous vous êtes occupée de moi.

Mrs. Robbins fit une timide révérence et se hâta de descendre les marches, sans même un regard pour cette demeure où elle avait assisté à tant d’événements.

Au rez-de-chaussée, Allday s’était installé près d’une petite fenêtre pour regarder le spectacle en silence. Sur le perron, sept hommes vêtus de noir portaient le cercueil de Browne que l’on allait placer dans la voiture. Il finit par dire à haute voix : Tout a une fin.

Bolitho suivait les croque-morts et donna la pièce à leur chef. Quelques regards furtifs, ces gens-là étaient habitués à leur métier. Et leur métier consistait à ne pas à poser trop de questions.

Il sentit que Catherine glissait la main dans sa paume et il fit simplement :

— Au revoir, Oliver, repose en paix.

La pluie tombait, ils étaient tête nue, mais restèrent cependant là jusqu’à ce que la voiture eût tourné le coin de la rue en direction de Piccadilly. Dans sa dernière lettre, Browne avait demandé qu’en cas de malheur on l’enterrât dans ses terres.

Lorsqu’il se retourna enfin, Bolitho vit qu’elle lui souriait. Elle est désormais libre de m’épouser, mais moi, je ne le suis pas. Cette idée le tourmentait.

— Tu sais, lui dit-elle doucement, cela ne change rien.

Elle souriait, mais ses yeux étaient tristes.

— Je resterai avec toi jusqu’à ce que…

— Je sais, répondit-elle en hochant la tête. C’est ma seule inquiétude, les conséquences pour ta réputation.

Bolitho aperçut Yovell qui l’attendait en haut des marches.

— Que se passe-t-il ?

— Dois-je préparer vos bagages, sir Richard ?

Il la vit lever les yeux. Elle se souvenait de tout ce qu’ils avaient vécu dans cette demeure. Et à présent, il leur fallait la quitter. Ce fut elle qui répondit :

— Je m’en occupe, Daniel. Allez aider sir Richard – et à Bolitho : Vous avez quelques lettres à écrire, j’imagine ? Val, le contre-amiral Herrick peut-être ?

Bolitho crut lire un message muet dans son regard, sans en être sûr.

— Tu as raison, il faut prévenir Val.

Il songeait combien il devait être occupé avec l’armement de son nouveau vaisseau, ce Prince Noir flambant neuf. Pour tout commandant d’un gros vaisseau, la période d’armement était un véritable cauchemar. Et les choses étaient bien pires encore lorsqu’il s’agissait d’arborer la marque d’un vice-amiral. On manquait d’hommes amarinés, d’officiers-mariniers compétents. Il fallait trouver du monde par tous les moyens, de gré ou de force, ce qui n’était pas facile dans un port comme Chatham ou, du mendiant au tailleur, chacun reconnaissait de loin un détachement de presse. Il fallait discutailler avec l’arsenal pour se fournir en vivres, s’assurer que le commis ne se laissait pas refiler des denrées à demi pourries en partageant la différence avec les fournisseurs. Bref, il fallait transformer une forêt de chênes en un vaisseau de guerre.

Bolitho eut un sourire triste. Dire que, en dépit de tout cela, Keen avait trouvé le temps de rendre visite à Catherine avant que lui-même eût rallié Londres pour lui raconter la bataille.

Il devait aussi écrire un mot à Adam, même si L’Anémone avait à peine eu le temps de mouiller après avoir escorté un Trucident qui faisait eau de toutes parts. Adam, lui aussi, avait été son aide de camp, dans le temps. Plus que les autres, il savait à quel point ce genre d’affectation vous rapprochait d’un amiral.

Il entendit Allday qui remontait de son pas pesant l’escalier de la cuisine. Sans parler de lui, naturellement.

Catherine reprit, songeuse :

— Il n’avait pour ainsi dire pas de parents proches et la plupart d’entre eux vivent outre-mer.

Bolitho avait noté qu’elle n’appelait jamais Somervell par son nom.

— Mais je crois qu’il avait des relations à la Cour ?

Il eut l’impression qu’elle sentait soudain son inquiétude et elle leva les yeux.

— Oui, c’est vrai. Mais le roi lui-même était exaspéré par sa conduite, son caractère coléreux, sa passion du jeu. Il m’aura pris tout ce que je possédais.

Elle lui effleura le visage, prise d’une tendresse soudaine.

— Encore un tour du destin, n’est-ce pas ? Enfin, ce qui l’aura laissé me reviendra.

Jenour arriva dans l’après midi de Southampton, hors d’haleine et après avoir changé six fois de monture. Lorsqu’on lui demanda comment il avait appris la nouvelle, il répondit :

— Southampton est un port important, sir Richard, les nouvelles arrivent aussi vite que le vent, mais je n’avais aucun détail sur les circonstances de sa mort – et il conclut très simplement : Ma place est près de vous. Je sais à quel point l’amitié de Lord Browne vous était précieuse, et c’était réciproque.

Catherine, escortée de Yovell, était partie chez un homme de loi après avoir décliné la proposition de Bolitho qui voulait l’accompagner :

— Il vaut mieux que j’y aille sans toi, tu risquerais d’être choqué… et je ne le supporte pas, mon chéri.

— Vous arrivez pile à temps, Stephen, lui dit Bolitho. Nous partons d’ici aujourd’hui même.

Jenour baissa les yeux :

— Je suppose que tout ceci est bien pénible, sir Richard, n’est-ce pas ?

Bolitho lui prit le bras :

— Une tête déjà si bien faite sur de si jeunes épaules !

Jeune et inexpérimenté qu’il était, Jenour avait deviné ses sentiments les plus intimes, il ne savait comment. Catherine était libre désormais et allait bientôt retrouver une certaine indépendance. La vie à Falmouth, ses absences répétées, tout cela allait sans doute lui sembler bien dur, après l’existence qu’elle avait connue et qu’elle avait peut-être envie de retrouver…

La vie est comme l’océan, songeait-il. Soleil un jour, tempête le lendemain.

Il prit brusquement conscience qu’il se frottait l’œil et cela lui donna un nouveau coup. Qu’allait-elle penser de lui si son état empirait ?

— Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, sir Richard ?

Bolitho avait oublié la présence de Jenour.

— Nous allons bientôt gagner le Kent pour embarquer à bord de mon nouveau navire amiral.

Il se laissa aller à rêver à ce qui l’attendait là-bas. Il savait que, dans le temps, il serait allé immédiatement à son bord, quoi qu’on pût en dire ou en penser. Mais cette mort était trop proche, il venait de perdre un ami, une fois de plus, et une certaine prudence s’imposait.

— Et puis il y a autre chose, ajouta-t-il enfin.

— Je sais, sir Richard, lui répondit Jenour. Le conseil de guerre.

— Eh oui, Stephen. En temps de guerre, il n’y a pas de place pour la rancœur ni pour les ambitions personnelles. Encore que Dieu sait qu’on ne vous blâmerait pas de penser autrement. Le commandant Varian a trahi la confiance que l’on avait mise en lui, il a trahi ceux qui avaient désespérément besoin de lui.

Jenour regardait cet air grave qu’il savait prendre, cette façon qu’il avait de passer le doigt sur son œil, comme si un corps étranger le gênait.

Bolitho se retourna en entendant la porte s’ouvrir, comme s’il s’attendait à la voir. Mais c’était un jeune garçon venu porter un message, l’un de ces domestiques qui, dans le hall, l’observaient d’un regard suspicieux.

— J’ai une commission de la part du docteur Rudolf Braks, sir Richard – il faisait d’horribles grimaces en essayant de répéter ce qu’il avait à dire : Vous pouvez aller le voir demain matin à dix heures.

Jenour s’était détourné, mais il avait senti que ce message ne fâchait pas Bolitho. Un message qui ressemblait à une convocation. Jenour s’était imaginé qu’à cette heure-là Bolitho serait à l’Amirauté. Braks. Un patronyme à consonance étrangère, un nom qu’il avait déjà entendu dans la bouche de son père. Mais pourquoi donc, déjà ?

Bolitho congédia le garçon après lui avoir donné une pièce et le remercia d’une voix distraite. Puis, entendant la voiture qui rentrait, il dit brusquement à Jenour :

— Pas un mot de ceci à Lady Catherine, Stephen. Elle a suffisamment de soucis comme cela.

— Bien sûr, sir Richard, je comprends.

— Bien sûr que non, vous ne comprenez rien du tout, mon garçon !

Mais il se retourna et, lorsqu’elle entra dans la pièce, il était tout sourire.

Elle serra la main de Jenour avant d’embrasser Bolitho.

— Alors, lui demanda-t-il doucement, cela a-t-il été dur ?

Elle haussa les épaules, ce geste qui le bouleversait toujours.

— Assez dur, oui. Enfin, c’est terminé. Il va transmettre le dossier aux magistrats – elle le regardait sans faiblir : Cela dit, il y a eu deux morts. Personne ne peut être accusé de ce qu’il s’est passé.

Jenour avait quitté discrètement la pièce. Elle reprit :

— Je sais ce que tu penses, Richard. Mais tu as tort sur toute la ligne. Si je ne t’aimais pas tant, je t’en voudrais d’avoir des pensées pareilles. Tu m’as secourue quand j’étais sans défense… à présent, nous pouvons nous occuper l’un de l’autre – elle s’absorba dans la contemplation des flammes : Partons d’ici, quittons ce havre où nous nous sommes aimés. Le reste du monde nous paraissait alors si loin.

Par la fenêtre, on voyait la pluie ruisseler sur les carreaux.

— C’est parfait, fit-elle comme si elle parlait toute seule. On n’y voit plus guère, ici.

 

Cette journée passa bien plus vite qu’ils auraient pu le croire tous deux. Des visiteurs allaient et venaient sans arrêt, amis du défunt ou simples curieux que leur regard trahissait.

Le médecin faisait partie du lot. Lorsqu’il demanda à Catherine si elle désirait voir le corps de son mari, elle secoua négativement la tête.

— J’ai commis bien des erreurs, je crois, mais jamais je n’ai fait preuve d’hypocrisie.

Il se passa cependant quelque chose d’assez désagréable.

Le dernier visiteur arrivé leur fut présenté comme étant un certain colonel Coolyear, des Gardes de la maison du roi. Un homme de grande taille, l’air arrogant, un sourire cruel sur les lèvres.

— Nous nous retrouvons donc, lady Somervell. Je trouve grotesque de vous présenter mes condoléances, mais le devoir m’impose de venir m’incliner devant feu votre époux.

C’est alors qu’il aperçut Bolitho et il poursuivit du même ton narquois :

— Au début, j’ai cru qu’il s’agissait sans doute de vous, amiral. Si cela avait été le cas…

Bolitho lui répondit, très calme :

— Vous me trouverez toujours à vos ordres, je vous le promets. Mais si vous persistez à déshonorer un uniforme respectable en présence d’une dame de qualité, je risque d’oublier la réserve qui s’impose dans ce genre de circonstances.

— J’aurais dit la chose en termes moins châtiés, fit Catherine. Je vous prie de vous retirer.

Le colonel essaya de battre en retraite d’une manière à peu près digne et partit à reculons en s’empêtrant dans ses éperons et tout son harnachement.

Bolitho pensait à Parris, second de l’Hypérion dont le corps horriblement mutilé était parti au fond avec son bâtiment. Il s’était tiré une balle dans la tête pour ne pas endurer la scie du chirurgien.

Catherine l’avait démasqué, mais lui n’avait rien deviné. Ce n’est que lorsque Parris s’était retrouvé coincé sous une pièce désemparée qu’il avait tout compris. Ici, à l’instant, elle venait de reconnaître un de ses semblables dans ce colonel plein d’arrogance.

Jenour passa la tête à l’une des portes, une belle porte encadrée de colonnettes.

— Tout le monde est parti, milady.

Catherine s’approcha d’un grand miroir doré.

— Je vois une femme dans la glace, mais je me sens une autre – elle sembla soudain entendre ce que venait de dire Jenour : Bon, essayons de tirer le meilleur parti de notre situation. Le maître d’hôtel est-il encore ici ?

— Oui milady – il jeta un regard désespéré à Bolitho : Je l’ai trouvé en train de pleurnicher dans sa chambre.

— Chasse-le, fit-elle d’un ton glacé. Je ne veux plus le voir. On lui versera ses gages, mais c’est tout.

Comme Jenour se retirait, elle ajouta :

— C’est désormais ma maison. Mais ce ne sera jamais ma demeure.

Elle s’approcha, mit ses mains sur ses épaules et l’embrassa doucement, très tendrement.

— Je te désire, si tu savais, je devrais avoir honte – et prise soudain d’un grand frisson : Non, pas ici, pas maintenant.

Ozzard arriva avec le café qu’il venait de préparer. Bolitho remarqua qu’il avait utilisé l’une de ces vieilles cafetières en argent rapportées de Falmouth. C’était bien lui, avoir songé à une chose pareille.

Allday arriva à son tour.

— Je crois que je ne vais pas me coucher très tard, si vous n’avez plus besoin de moi, madame.

Bolitho réprima un sourire. Il était facile d’oublier le lendemain et ce que le médecin allait lui annoncer. Il arrivait même à oublier le cadavre qui gisait là-haut, celui d’un homme qui n’avait jamais été aimé et que l’on oublierait très vite.

— Je vous en prie, Allday, lui répondit-elle, allez vous reposer. Et prenez de bons calmants pour oublier vos douleurs.

Allday souriait de toutes ses dents.

— Vous savez toujours ce qu’il me faut, madame.

Et il sortit en pouffant.

— Un vrai chêne, fit Bolitho.

— Je me disais – elle posa la main sur son bras : Oliver, ton ami. Il aurait aussi bien pu parler de nous lorsqu’il disait : les Heureux Elus.

Les domestiques avaient déjà fini de verrouiller les portes et de répandre de la paille sur la chaussée pour étouffer le bruit des roues qu’ils étaient toujours là, assis près des flammes mourantes.

Ozzard arriva à pas de loup pour remettre quelques bûches dans le feu. Il reprit la cafetière refroidie et s’en alla aussi discrètement qu’il était venu. Il se permit un seul petit coup d’œil pour regarder ce couple qui dormait, écroulé sur l’un des grands sofas. Il lui avait mis sa vareuse sur les épaules, elle avait les cheveux défaits. Sa chevelure couvrait le bras qu’il lui avait passé autour de la taille.

Il prit conscience une nouvelle fois de sa tristesse, de sa solitude sans remède. Eux au moins, ils avaient quelqu’un. Dieu seul savait combien de temps ils connaîtraient ce bonheur.

Il trouva Allday en sortant et s’exclama :

— Moi qui croyais que tu étais en bas avec une bonne cruche de rhum !

Mais, cette fois-ci, Allday ne releva pas.

— J’ai plus envie de dormir. J’m’ai dit qu’tu pourrais partager un verre ou deux en ma compagnie.

Ozzard le regardait de son air las.

— Et alors ?

— Toi qu’as de l’éducation, tu pourrais me lire un truc, le temps qu’on se sente un peu fatigué.

Ozzard réussit à dissimuler son étonnement. Lui aussi, il est au courant de tout. Il était dans tous ses états. Puis il réussit à dire :

— J’ai trouvé un livre, une histoire de berger. Ça devrait te plaire.

Les deux compères descendirent à la cuisine déserte, le gros bosco et le gringalet qui portait son terrible secret comme une maladie qui finirait par le tuer.

Mais, dans tous leurs états ou pas, ils étaient tous deux des hommes de Bolitho, et ils allaient s’en sortir encore une fois. Ensemble.

 

Un seul vainqueur
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